Sans histoires, vraies ou inventées, il n'y aurait qu'idées reçues, mots empruntés et images volées
Sans histoires, vraies ou inventées,
il n'y aurait qu'idées reçues,
mots empruntés et images volées
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Au jour le jour, au gré de mes balades…
Au gré de mes balades, de mes petits voyages minuscules ici ou là, je ramasse, je cueille, je récolte des images qui parlent d’une rencontre, témoignent d’un étonnement, des choses pas toujours signifiantes mais qui valent pourtant le coup d’œil, qui m’intriguent ou me font réagir, qui me gênent, que je voudrais ne pas voir des fois, qui ne devraient pas exister. C’est sûrement dans ce cas une façon d’évacuer ce qui me dérange.
Elles me procurent un peu de plaisir sur le moment, ça ne dure pas bien longtemps mais c’est comme un bref rayon de soleil qui efface le gris de mes préoccupations ou de ces pensées qui m’encombrent souvent l’esprit, et je me sens du coup plus léger, et ça fait du bien.
Alors je me régale à prendre des images comme elles viennent, dès qu’un sujet se présente, sans me casser la tête ou chercher midi à quatorze heures, sans avoir le souci d’une quelconque œuvre à accomplir.
Le plus souvent, à l’état brut, elles ne méritent pas d’occuper le devant de la scène, c’est du consommable, du jetable. Ce sont des images orphelines, elles ne rentrent pas en général dans ces cases bien définies que je remplis méthodiquement, ni vraiment dans mes thèmes récurrents de prédilection, alors je les stocke provisoirement comme ça, en vrac, en attente d’une destination future, d’une utilisation plus noble pour enrichir et compléter une série en cours, ou d’une transformation par un traitement qui leur donnera un autre sens, une esthétique différente.
Elles sont dans une sorte de purgatoire, pas abandonnées ni laissées pour compte, mais seulement mises de côté.
Un jour, sans vraiment y avoir réfléchi, certaines trouvent naturellement leur place ; les autres restent en souffrance sans rechigner pendant des mois, voire des années. Confiantes, elles ne sont pas pressées et me laissent faire, sachant que je ne les oublie pas et que je ne les abandonnerai jamais. L’embêtant, malgré tout, c’est que ce contingent de patientes grossit de jour en jour !...
Peut-être que je fais comme ces écureuils qui mettent de côté dans une cachette leur provision de noisettes pour l’hiver ? J’amasse -on ne sait jamais- de petites perles de culture, de social, d’humain, d’esthétique, en attendant le deuxième déclic, moins spontané celui-là, qui viendra quand j’aurai ruminé suffisamment dans ma tête et évacué mes sujets et préoccupations du moment, mes interrogations, les doutes qui me taraudent et me tiennent prisonnier, je n’ai d’autre solution que de m’acharner pour trouver ce qui manque et m’exposerait aux critiques, détail ou pierre angulaire, ce qui ne va pas et détruirait tout, ce dont je ne suis pas satisfait (et je ne le suis pas souvent) et dont j’aurais honte.
Quand c’est fini, j’ai libéré un peu de place en moi pour passer à autre chose et aborder enfin un sujet neuf.
Peut-être aussi que, comme tout artisan ou artiste, quel que soit la valeur de son œuvre, je dois continuer de m’exercer sans relâche, j’ai besoin -c’est une addiction- de faire mes gammes comme un pianiste afin d’entretenir le feu, l’acuité du regard et une pratique, une expérience qui me permettent de saisir quand il le faut des scènes fugitives sur le vif qui sans cela m’échapperaient.
J’ai en partie bâti cette rubrique autour des quatre saisons qui correspondent aussi aux âges de la vie, vous en été moi en hiver comme dit la chanson, parce que ce découpage me permet de penser à Haydn et Vivaldi, à d’autres aussi, à tous ceux dont la musique m’accompagne sans que j’aie besoin de l’écouter, qui me soutiennent peut-être en silence dans mon entreprise, surtout quand je perds pied devant la montagne dont je n’atteindrai jamais le sommet.
Et je pense à tous ceux que je connais ou non et pour qui je ne laisse pas tomber. Même s’ils n’en sauront jamais rien.
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